Bon déjà, histoire de ne pas me faire lapider au Comic-con… /!\
Si vous lisez entre les lignes, l’article qui suit dévoile les moments clefs de la non-intrigue de la saison 6 de Doctor Who
Je parlais il n’y a pas si longtemps – des plombes en fait, faute de main – des différentes composantes derrière la notion d’écriture et du fait qu’on ne pouvait pas forcément être bon en tout. Je citais notamment un certain Steven Moffat, scénariste de génie s’il en est pour la télévision, et dernier showrunner en date de Doctor Who. Qui prouvait bien à mon sens que ces deux métiers ne font pas appels aux mêmes outils.
Après une saison 5 m’ayant très moyennement emballée, j’espérais voir la saison 6 de cette épique série spatio-temporelle me donner tort (ou me faire changer d’avis, puisque je ne prétends pas exprimer de vérité objective sur la façon d’écrire une série) quant à la gestion du long terme par Moffat.
… raté.
Mon visionnage de cette première moitié pré-césure fut assez paradoxal : si j’ai chaque semaine attendu l’épisode suivant avec une impatience et un enthousiasme qui m’ont manqués en cette année télévisuelle, je n’ai jamais pris – à une exception près – un immense plaisir à regarder les épisodes en eux mêmes.
Russel T. Davis avait ses défauts. entre autres, Il était incapable de faire une fin posée et il ramenait parfois des personnages pour le simple plaisir de réunir des figurines sans leur donner d’utilité (hein Martha ?). Ses saisons n’étaient sans doute pas toujours les plus fines de la mythologie du Doctor, mais elles étaient chargées en émotionnel, en coups de théâtre, en fous-rire, en drames, en somme elles vous faisaient faire le grand huit en tant que spectateur, ne sachant jamais trop quoi l’on vous servirait la semaine prochaine. Et au sein de ces 4 saisons, on doit indéniablement parmi les plus beaux et prenants épisodes à Steven Moffat.
Moffat est un excellent scénariste, capable de vous faire vibrer pour un personnage qui ne sera pas exposé plus de 40 minutes (Mme de Pompadour, Sally Sparrow) de ficeler une intrigue complexe et de haute tenue (The Empty Child, Blink) et de créer des décors et des créatures incroyables (les anges pleureurs, la bibliothèque). Le travail de ce bonhomme exsude l’intelligence, la précision, l’amour de son métier.
Alors pourquoi je n’arrive pas à l’aimer en tant que showrunner ?
D’abord pour une raison technique : parce que selon moi, il gère la totalité de ses saisons comme… un scénariste. Et que si se sont ontologiquement deux métiers différents, c’est peut-être pour une bonne raison.
Hum ? Étayer mon propos ? C’est un blog pas une dissert’ non ?
Bon, tentons. Il y a par exemple la gestion des arcs narratifs principaux des saisons, étirés de façon artificielle et répétitive. J’ai le sentiment que si un épisode en lui-même ne se rapportait pas directement aux fils rouges de Moffat, il n’était pas traité comme les autres et faisait un peu office de faire-valoir / remplissage… et était le moins organiquement du monde rattaché à la trame par 10 royales secondes nous montrant la geôlière borne. L’intérêt de revoir toutes les semaines le Docteur vérifier son scanner m’échappe aussi, si ce n’est de préparer nos ptits cerveaux faiblards aux coups de théâtre…
Le fait est que les saisons 5 et 6 (soit l’ère Moffatt) apparaissent comme un grand puzzle dont on ne verra l’image d’ensemble qu’à la toute fin. Sauf que tout à préparer ses fils et à assembler ses pièces, l’auteur semble miser essentiellement sur une résolution ‘mind-blowing’ en oubliant de nous faire profiter du voyage. Écrire une nouvelle ou un épisode « à chute » est un exercice et un rendu sympathique. J’ai souvenir de cet épisode d’Angel (Awakening) que j’ai trouvé confondant de bêtise jusqu’à ses toutes dernières secondes, une chute qui jetait un éclairage nouveau sur tout ce qui précédait. A échelle de 40 minutes, le procédé se tente.
Mais si une histoire inscrite dans la longueur ne prend son sens que par la chute, à mon humble avis elle rate son coup. Imaginez subir 300 pages ou 2 saisons uniquement dans l’attente de l’explication, sans être plus que ça investi émotionnellement, ou sans avoir l’impression que l’auteur développe un propos sur le monde qu’il décrit… C’est l’impression que me laisse cette nouvelle ère. Tout est centré sur l’énigme et très rarement j’ai l’impression qu’au fond, l’époque ou le lieu visité ait une réelle importance, qu’on y porte un quelconque regard… On est dans de la mécanique narrative bien huilée mais au service de son mystère plus que de thématiques (toutes très très vite survolées…) ou de personnages.
Ces derniers subissent aussi un traitement qui à mon sens, nuit à l’identification qu’on peut y avoir. Passons sur le Docteur pour surtout parler ici des compagnons.
On pouvait toutes être Rose, Martha ou Donna. Pas parce que l’une était secrétaire ou l’autre vendeuse mais parce que le Docteur les rencontrait au gré du hasard, et non du Destin. Le problème avec Amy, c’est que tout est écrit. Elle ne s’accomplit pas grâce au Docteur, c’est parce qu’elle est déjà particulière qu’il la rencontre, et parce qu’elle était depuis un moment part essentielle de sa ligne temporelle (rétroactivement, depuis la saison 4) qu’elle croise le Docteur. La faille dans son mur, les souvenirs avalés, et bien sûr sa progéniture (que ceux qui n’ont pas vu venir ce coup-là depuis au moins le 6×01 me jettent la première fausse pierre en flesh – ça fera moins mal). Et à partir du moment où elle devait forcément croiser le Docteur, l’impact de leur companionship est un peu amoindri à mes yeux. Amy n’est pas vous ou moi, un être humain parmi 6 milliards qui gagne à la loterie en étant choisie pour grimper dans le Tardis. Elle a plus ou moins toujours été chez elle dans le Tardis. Sans compter que tout tourne toujours autour d’elle ou du Docteur (la faille, la Pandora Box, le bébé), les personnages secondaires (autrefois si savoureux) apparaissant en contraste comme des faire-valoir, de purs outils narratifs à L’Odyssée d’Amy et du Docteur. Je n’ai pas tant de reproche à faire au personnage qu’à son traitement. Elle ne gagne pas ses galons de compagne, le paradoxe temporel les lui donne d’entrée de jeu (dans ma tête j’appelle ça le « syndrome Sliders », mais j’y reviendrai une autre fois).
La gestion des dits paradoxes soulèvent d’ailleurs un autre problème : le Docteur n’était pas censé pouvoir croiser sa propre ligne temporelle. En annulant cette règle, on créé un précédent qui peut prêter à toutes les facilités scénaristiques imaginables, et surtout, on affaiblit les enjeux de manière considérable. Une liberté prise assez symptomatique de la seconde raison qui me fait prendre nettement moins de plaisir devant cette nouvelle ère de Who…
Une raison qui tient pour le coup plus du ressenti, mais un ressenti qui se densifie épisode après épisode. Celui que Moffat écrit ici sa série, et non pas la nouvelle saison d’une œuvre pré-existante. Plus je regarde, plus j’ai l’impression qu’il regrette, finalement, de ne pas avoir eu lui l’idée simple et géniale à l’origine de Doctor Who, et qu’il se créé donc sa propre version. Son Docteur (pas toujours ultra cohérent avec ce qu’il est advenu de Ten), son Tardis, ses règles du voyage dans le temps… ses personnages. C’est la première fois qu’on passe d’une saison à l’autre sans changement de casting, et ça n’est sans doute pas un hasard.
Le fait même de ne rien vouloir intégrer de la mythologie RTD (tout en ressortant ses propres créations du placard, pas toujours pour leur bien d’ailleurs) est aussi absurde qu’arrogant. Non seulement Moffat impose son style comme unique directive valable à une série aux multiples décennies d’existence, mais sa personnalité (ou ce qu’il en transparait) déteint sur le Docteur lui-même. Car à bien y regarder, ce dernier aussi s’est fait ces derniers temps tout en effets d’annonces et de manches, préférant garder pour lui le gros de l’information pour mettre en scène un final fracassant, au détriment du bien-être émotionnel de ses compagnons (ç’aurait été sympa de préparer un peu plus Amy au choc psychologique de réintégrer son véritable corps, par exemple). Le Docteur sait tout mieux que tout le monde et rien ne semble lui être plus plaisant que de nous le démontrer. Comme, donc, toute narration structurée pour servir une chute, on y perd en attachement.
Alors je pourrais encore développer sur des pages et des pages, mais puisque le temps semble toujours manquer, cher M. Moffat :
J’attends avec impatience de vous redécouvrir sur une œuvre originale, où tout vous appartiendra d’entrée de jeu, où vous ne chercherez pas sans cesse à nous rappeler que vous êtes le plus intelligent du lot, pour donner dans le plus sincère.
Et je dois l’avouer, je ne serais peut-être pas mécontente de voir s’y greffer un autre génie en puissance qui décidera des années plus tard qu’il vaut mieux que tous ceux qui l’ont précédés pour écrire la suite d’une œuvre. Par plaisir de vous voir lui dire, une main bienveillante sur l’épaule, « ah, ne fais pas la même bêtise que moi. »
J’ai certes depuis un moment la désagréable impression de regarder des fanfics plus que des épisodes. Mais bien sûr que j’aime toujours Doctor Who. Que vous m’apparaissez toujours comme un plumiste de talent, un esprit aiguisé, un cerveau brillant et sans doute plus important que tout dans ce métier, un homme qui exerce avec plaisir.
Si ce plaisir pouvait juste se faire un peu moins égoïste, j’ose imaginer ici et maintenant que je ne serais peut-être pas la seule à vous en être reconnaissante. Votre esprit est intéressant, plaisant à visiter, mais j’appréciais que le Docteur de RTD nous emmène voyager partout, et pas uniquement dans la tête de son auteur.
Parce que dans la mienne, c’est un peu le propre de la fiction que d’ouvrir d’autres portes, sur d’autres perspectives.
Y compris pour celui qui tient le stylo.