Tic, tac

Posted by Jade on 7 septembre 2011

03 20 80 33 …

Ce que je saisis ici, à 3 heures du matin, exactement huit ans après son décès, c’est le numéro de ma grand-mère. Je ne le tape pas de mémoire parce qu’en vérité il est toujours dans celle de mon téléphone. Logé dans la puce et non dans l’appareil, il a survécu aux changements de modèles, aux années, au temps qui passe. Je ne l’ai jamais recomposé, appelé, je me doute bien qu’il ne donnera pas sur sa voix, même enregistrée sur un répondeur, qu’il aboutira juste dans le vide, à un timbre désincarné m’expliquant que ce numéro n’est plus en service, à une preuve que si si.
Le temps passe. Les choses disparaissent, les gens aussi.

Ce soir je me suis engueulée avec une amie (proche, très proche, sinon c’est pas drôle.) Ou plutôt, soyons honnêtes, j’ai engueulé une amie. On parlait de ça, de la mort, du temps, des gens qui partent trop tôt (tous non ?) et alors qu’elle exprimait son avis, je me suis juste mise en rogne en affirmant purement et simplement qu’il était stupide (oui quand je me décide à être bornée et nulle, je le fais bien, je me donne à fond.) Je n’expliquerai pas en quoi consistaient nos opinions divergentes, ce n’est pas là où je veux en venir. Dans le principe, sachez juste que j’ai été un peu franchement lamentable et ce que vos avis rejoignent le mien ou non.

Pour rien ne monde il ne peut servir d’excuse, mais demeure qu’il y a un contexte. Aujourd’hui plus qu’un autre jour, ou plutôt plus qu’une autre nuit, je peine à être objective, à réfléchir à ce sujet. Ce n’est pas ma raison qui parlait hier soir. Trop de souvenirs et de non-souvenirs court-court-circuitant mon réseau neuronal et se déversant en mots malheureux au bord de mes lèvres. Conséquence d’avoir enterré trop de gens de mon âge, pour l’âge que j’ai. Mais si, quelques heures plus tard, dans la pénombre de l’appartement à peine percée du rétro-éclairage de cet ordinateur, je mobilise ce qui fait moi par-delà une réaction émotionnelle, épidermique, je réalise…

Je réalise que ce qui rend le truc encore plus bête, c’est que l’avis en question, en vérité, l’avis que défendait cette amie, je ne fais pas que le respecter.
Je le partage.
Parce qu’il reste une part de moi, un morceau au centre, au cœur en somme, qui n’a pas été abimé par ça, par les copains emportés à 24 ans par le cancer, les oncles tués sans raison par des jeunes de moins de 24 ans, par la mort de ma grand-mère qui n’avait rien à voir avec son âge, avec le passage du temps et la fin naturelle des histoires. Je le sais d’autant plus que ce qui l’a emportée m’aura frappée à mon tour quelques sept mois plus tard.  Et aura épargné, comme le reste, ce morceau de cœur qui partage cet avis, y croit de toutes ses forces, emmerde le concept de temps et y chosisirra toujours le bonheur, comme elle le répétait publiquement il n’y a pas un mois.

Alors si mon amie passe dans les parages à l’occasion, qu’elle sache que je lui présente mes excuses. Et qu’elle sache que le temps a le sens de l’humour, car la preuve de ma bonne foi est déjà depuis plusieurs semaines au pied de son canapé, dans un tas de feuilles qui pèse lourd, au propre pour les autres, au figuré aussi pour moi. Un tas de feuille où vivent des gens, et où l’un d’entre eux commence avec le point de vue que je défendais mal hier, pour finir avec le sien.
Un tas de feuille rédigée par la bonne partie de moi, celle qui n’est pas abimée.

Et qui aujourd’hui se demande si elle fera un nouveau pas en avant.
Se demande si elle n’effacerait pas ce numéro de téléphone.

One Response to Tic, tac

  1. Charlie

    <3

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