L’erreur est humaine, l’administration pas

L’erreur est humaine, l’administration pas.

Atteinte d’un esprit de contradiction contre lequel je ne lutte qu’en vain, j’ai tendance à subir le syndrome de la page noire plutôt que son antithèse bien connue. Aussi quand on m’a dit « sujet libre », ai-je eu quelques dizaines d’idées d’éditos potentiels qui ont tour à tour pris naissance dans mon hémisphère droit légèrement imbibé de kir hier soir. Ce n’est qu’une fois asséché que l’hémisphère en question a réalisé qu’il y avait tout de même une règle à tenter de suivre : trouver un sujet qui concerne tout le monde.

Or, il est une épreuve que chacun d’entre nous ici doit subir, peu avant ou peu après la rentrée, et à propos de laquelle on ne mettra jamais assez les étudiants en garde. Ayant appris, au cours de quelques discussions avec mes nouveaux camarades, que tous n’y étaient pas encore passés, je vous propose donc un éditorial d’utilité publique en abordant le douloureux mais nécessaire sujet suivant :

« L’inscription administrative à la fac »

Si ce texte avait été sonore, vous auriez entendu entre les guillemets ci-dessus la voix basse et gravissime de ce type qui fait les bandes annonces de blockbusters (et fume visiblement trois paquets de clopes par jour depuis l’âge de douze ans). Je peux déjà imaginer les mains de certains se mettre à trembler.

A l’heure où je vous parle, je suis moi-même inscrite, mais sans l’intervention bénie d’une certaine Mlle A.G. (dont je tais ici le nom pour des raisons évidentes) je serais sans doute toujours à faire la queue devant le bureau des masters, attaquant le dernier chapitre de Guerre et Paix entamé pour l’occasion.

C’est pour cette raison que je mets en doute ma propre objectivité quant au sujet traité et préfère vous livrer le témoignage authentique et poignant de Mlle K (qui gardera elle aussi l’anonymat, je pense que vous le comprendrez.)

« Après avoir validé ma maitrise sur les bancs de la fac, l’université m’invite à renouveler mon contrat pour une cinquième année, m’expliquant que moyennant quelques banales formalités administratives et une somme dérisoire dans une monnaie qui de toute façon se dévalue à vue d’œil, je me verrai offrir un enseignement de qualité inégalable qui fera s’illuminer le visage de tout futur employeur parcourant mon C.V. N’étant pas du genre à laisser passer une bonne affaire, j’ai très vite accepté.

A cette fin, j’ai donc soigneusement réuni toutes les pièces demandées, consciente que chacune était absolument indispensable (numéro de sécurité sociale, diplôme de bac, clichés dentaires et photocopie de ma carte de fidélité à Home Sushis), rempli chaque case du dossier avec les informations requises (laissant juste un blanc pour le nom de jeune fille de mon arrière-grand-mère paternelle, que j’avais tout de même sur le bout de la langue) et emballé le tout dans une enveloppe 1×3 m affranchie au tarif en vigueur de 9,762828 euros.
Le dossier glissé dans la boite aux lettres du service des masters, je n’avais plus qu’à surveiller la mienne où ne tarderait pas à tomber ma carte étudiante. Sauf qu’en lieu et place du petit rectangle de plastique m’est parvenu un courrier m’informant avec une politesse démesurée que je n’avais pas validé mon année.
Intriguée mais sereine, persuadée qu’il ne s’agissait là que d’une fort compréhensible erreur humaine, je me rends au secrétariat de mon UFR, où m’accueille une employée certes peu patiente, mais que je prends malgré tout en affection (il faut dire que sa ressemblance troublante avec le pitbull de mon oncle Joseph me remplit d’une douce nostalgie familiale.)

Elle m’explique donc que je ne suis pas venue au partiel sur table de mai dernier et que j’ai par conséquent 0 ce qui a fait chuter ma moyenne plus vite que le cours du dollar américain. J’argue que si si, j’étais là, je peux même le prouver ! Le sujet choisi par le corps professoral m’ayant quelque peu stressée (« Culture et commerce des dattes dans le nord de la Mésopotamie au cours de la période séleucide ») je me suis rongée les ongles les 180 premières minutes de l’examen et je ne doute pas qu’un test ADN réalisé sur le sang du siège 67 prouvera ma présence en ces lieux le 29 mai dernier.
Oh, et accessoirement, même si la note a disparu de l’ordinateur depuis, elle est tout de même sur le relevé que j’ai fait imprimer en juin, ce qui tend à corroborer le fait que ma copie soit tout de même passée entre les mains d’un prof.

Mais parce que j’ai passé le partiel sur le siège 67 de l’amphi Franz Kafka, 3ème étage couloir B, et non sur le scooter d’un des rejetons du président, impossible de faire faire un prélèvement ADN. Quant à mon relevé de notes rien ne prouve que je ne l’ai pas honteusement trafiqué sur Photoshop comme c’est l’usage chez les jeunes d’aujourd’hui, aussi ne me reste-t-il donc qu’une seule façon de prouver ma bonne foi : retrouver la copie d’examen.

Je parviens, au terme d’une enquête palpitante et d’une quinzaine d’heures dans les files d’attentes, à rencontrer la personne en charge des archives, malheureusement, m’explique-t-elle, le coffre-fort dans lequel sont gardés ces documents ne peut s’ouvrir que lorsque les planètes Mars, Saturne et Uranus sont alignées (même si on l’a déjà vu des gens y entrer aussi à minuit pile quand passait la comète de Haley.) Je me félicite intérieurement d’avoir à faire à un système de cette précision horlogère suisse : pas d’allers-retours à faire pour rien, je sais que je n’ai pas à revenir avant le 14 mars de l’an de disgrâce 2048 pour voir ma requête satisfaite.

Pour occuper le temps d’ici là, je cherche une solution alternative et entends parler d’une base de données informatique dans laquelle seraient numérisées les copies d’examen. Je parcoure donc à nouveau les couloirs de l’université, guidée par une lueur d’espoir qui prend des proportions de supernova quand on m’annonce que le texte est bel et bien là, puis d’une allumette au fond d’une mine de charbon quand le dit texte s’affiche à l’écran.

Il apparait en effet que le seul exemplaire disponible de ma copie est une version traduite en sanskrit pour les besoins d’harmonisation des programmes universitaires à échelle planétaire, et j’apprends dans la foulée que l’unique enseignant bilingue de l’université est coincé à Dubaï (l’inconscient n’avait fait tamponner que trois fois son formulaire de retour sur le territoire français.)

Par chance, entre deux coups de fils à ma psy, l’assistant aux archives pris de pitié vient me tapoter l’épaule pour m’expliquer qu’il existe un dépôt de copies annexe au 25ème sous-sol de l’université. Après une descente en rappel dans le puits de l’aile est – l’ascenseur indisponible parce que six ouvriers qualifiés sont en train d’en changer le papier-peint, j’arrive dans une cave voûtée qui a de toute évidence servi de décor à la scène finale des Aventuriers de l’Arche Perdue (et avant ça, de planque pour les trafiquants d’or du 17ème.)

Le système de classement n’étant expliqué que par la norme AFNOR 00CRISE00DE0 de référence ISO 00NERFS00 classée secret-défense, je décide de faire dans le pragmatisme et de commencer mes recherches par la boite 001. Que l’on se rassure, il n’y en a que 250 312. »

Le témoignage s’arrête malheureusement ici (la page manquante s’explique sans doute par le fait que ce document m’ait été fourni par un service d’archive universitaire) mais ayant rencontré Mlle K en personne je peux vous assurer qu’elle est toujours, à l’heure actuelle, presque en pleine possession de ses capacités mentales.

Mais parce qu’il est de bon ton, ces temps-ci, de rester optimiste, je tiens à finir cette note sur les deux aspects positifs que présentent cette histoire :

- pour Mlle K d’abord, qui ne remit jamais la main sur sa copie mais a découvert, dans la boite 98 766 C, un gisement de pétrole et a aujourd’hui quitté le milieu universitaire pour une villa de luxe en bord de plage sur les côtes de l’Alaska. Elle y a soleil, palmiers, bronzage toute l’année et nonobstant les quelques ours polaires faméliques qui viennent s’échouer sur son perron et les nouvelles lois hebdomadaires de Sarah Palin, sa vie est pour le moins idyllique,

- pour la France, enfin et surtout car reconnaissons-le, c’est sans doute l’impénétrabilité de notre système administratif national qui fait que restent derrière nos frontières les nuages radioactifs ukrainiens et les crises financières que d’obscurs économistes voudraient nous faire croire mondiales.
Les sots.