Si j’annonce dès maintenant que je m’apprête à vous parler cafards et organisation structurelle du cerveau en vous promettant qu’il existe une logique pour passer de l’un à l’autre, j’imagine que je prends le risque de perdre à tout jamais les six lecteurs de cette page…
Risquons !
Je suis de ces gens qui se rappellent la quasi-totalité de leurs rêves, pour le pire et pour le meilleur, et que l’art la malédiction de la mise en abyme poursuit jusque dans leur sommeil. Ainsi au-delà du classique « rêve dans un rêve », je me suis déjà cognée des « rêves dans un rêve dans un rêve dans un putain de quatrième rêve » pour me réveiller complètement paniquée, ignorant à quel moment ma journée s’interromprait au son de l’alarme de portable me signalant que j’étais en fait toujours endormie.
Le truc c’est que ce doute à la Néo sur la réalité objective de ma réalité subjective vécue, je l’éprouve aussi dans des rêves. Tenez, l’autre fois, je suis dans mon appart, et des grenouilles font des allers et retours entre ma salle de bain et le salon que je n’ai pas. Ok. Débarque ensuite ma sœur, et là ça devient une question de survie : il fallait que ce soit un rêve. Je cours me boucler dans la salle de bain et là où les gens normaux se pincent pour vérifier, je me dis que la différence entre rêve et réalité tient aux détails. Je fais alors un truc con et regarde mes chaussettes. Snoopy sur la cheville, les petites rayures rouges, élimées au talon, y’a pas à dire ce sont mes vraies chaussettes. Mais le doute persiste et je décide d’ouvrir l’armoire à pharmacie de la salle de bain. Tout y est : eau oxygénée, boite de sparadraps, parfum et même spray pour les angines bon bordel ça peut qu’être un rêve quand même, mon cerveau me nargue juste en ajoutant les détails comme je les cherche, et pour achever de m’en assurer je prends le spray et lis la composition. Héxétidine, acide propionique, chlorubotanol hémihydrate, merde, je peux pas l’inventer, et il me faudra donc attendre la sonnerie du réveil pour réaliser que c’était évidemment un rêve.
Inutile de préciser que réveillée, non seulement j’ignore que ce que je m’envoie derrière la cravate est fait d’héxétidine et de chlorubotanol mais qu’en plus, je n’ai ai aucune idée de ce que c’est (j’aime vivre dangereusement.) Mais parce que j’ai lu intégralement la notice de ce médicament à l’achat, mon cerveau a enregistré toutes les données dans un coin inaccessible à mon conscient mais que mon inconscient se fait un plaisir de me sortir quand j’ai besoin de me convaincre qu’un cauchemar n’est qu’un cauchemar. Salaud.
J’en étais donc arrivée à la conclusion qu’en sommeil mon cerveau me voulait *du mal*, jusqu’à cet autre soir (dans la réalité) où je pénètre ma salle de bain et en allume la lampe pour découvrir ce qui me semble bien être un cafard sur mon miroir. Passé l’exclamation de terreur étouffée, je me retourne pour attraper un chausson au pied du lit (la merveilleuse configuration de mon appart me permettant de faire ça tout en restant dans ma salle de bain.) Une nouvelle rotation du bassin plus tard, la bestiole avait disparue. J’ai pris sur moi pour fouiller l’armoire à pharmacie, le carton à gel douche, la baignoire, tout, et rien, comme s’il s’était volatilisé. Je l’imaginais déjà rejoindre sa petite famille et me retrouver 48h plus tard comme Jerry O’Connell dans Joe’s Appartement, bien obligée de faire avec mes nouveaux colocs.
Mon conscient tente d’apaiser mes craintes : je suis claquée, il faisait sombre, j’ai peut-être halluciné… la théorie n’apaise finalement pas tant que ça alors il dévie sur autre chose, à savoir : c’était ptête pas un cafard mais un coup de google image plus tard ça y ressemblait quand même fortement. Argh. D’autant plus mesquin que ça faisait pas deux jours que j’avais briqué la salle de bain et tout l’appart avec ! Et puis la nuit arrivant, la réponse en rêve. Il me semble que c’était Christel mais je peux me tromper, qui me montrait un papillon de nuit contre le mur du bout d’une baguette en bois très professorale : « tu vois, la couleur brûnatre dégueu, les ailes repliées qui ont l’air d’une carapace et les antennes ostentatoires, posé là comme ça, on croirait vraiment un cafard. » Evidemment histoire de ne pas non plus être trop gentil, mon inconscient avait fait du papillon de nuit un spécimen de 6×4 mètres, empalé au mur et dégoulinant de sucs immondes le long d’un papier peint floral des années 30 (image tirée d’une nouvelle d’Alfred Hitchcock qui m’a traumatisée gamine, comme quoi, il va chercher loin le salaud.) Je me suis réveillée mi-horrifiée mi-rassurée, et lorsque le cafard s’est envolé par la fenêtre un peu plus tard, m’assurant de son statut de papillon de nuit, j’ai réalisé qu’en fait mon cerveau aimait aussi à me rendre service de temps à autres.
Du coup maintenant je vois mon cerveau comme un ordinateur : un outil indépendant de ma personnalité propre, qui stocke tout un tas de données et dont, en théorie, je maîtrise la plupart des logiciels. Sauf que je ne suis pas à l’abri d’un plantage ou d’un pur acte de malveillance de sa part, style effacer un fichier supra important du disque-dur (genre toutes mes connaissances en philo au moment du partiel) ou multiplier à l’infini, tel un insidieux virus, une donnée absolument inutile et horripilante (la voix de Cindy Sanders beuglant justement une histoire de papillons). Sans parler de sa propension à me faire sortir des blagues débiles dès que je suis en mode Recherche / document / type / réponse sérieuse :
Au final je me console, j’aurais pu tomber sur pire, et depuis le temps on s’est plutôt bien apprivoisé lui et moi. Mais je crains l’effet des années sur notre relation, car il sera forcément nuisible à son état. Avec l’âge, je sais qu’il va devenir moins plastique, et qui sait, plus prompt à user du logiciel « mauvaise foi » ou à réellement me faire halluciner des cafards… tout en se dédouanant de ses actes sous prétexte que j’ai aussi une personnalité consciente !
Sur ce, je m’en vais télécharger le patch « motivation à bosser » muni de l’extension « chocolat chaud ». Ceux qui sont arrivés jusqu’ici sans laisser de neurones à la casse sont invités à revenir, la prochaine fois, j’essaierai juste de parler littérature française (ou absence de, c’est selon).