Avec ou sans mon masque/pseudonyme, je dis assez facilement (ou tout au moins bien plus facilement qu’il y a quelques années) aux gens autour de moi que j’écris. J’en parle sans honte puisque j’en parle sans fierté, c’est une façon comme une autre de se définir. A ce genre de remarques, les réactions varient sur les échelles curiosité-indifférence et compréhension-incompréhension. SI je n’écrivais pas cette note du bureau je vous aurai peut-être fait un petit schéma pour vous donner une idée de ce que ça donne…
Voilà, quelque part dans le milieu de ce graphique, se trouve le petit noyau de gens qui pensent qu’écrire n’a rien d’une activité artistique / culturelle / intellectuelle voire rien d’une activité tout court. Et à vrai dire je commence à en croiser assez régulièrement, les gens qui différencient la littérature de tous les autres arts parce qu’ils n’y voient aucune difficulté technique. Il ne faut pas de matériel, il ne faut pas apprendre à dessiner / tenir une caméra / à jouer d’un instrument… il faut juste un crayon et un papier. En somme, ils ramènent « écrire » à l’acte physique : si vous savez écrire (que vous connaissez votre alphabet et que vous savez tenir un crayon correctement) vous savez *écrire*.
Ce raisonnement se retrouve dans leur façon de parler de leurs lectures : soit c’est bien écrit, soit c’est mal écrit.
L’écriture apparait ainsi comme une sorte d’action binaire : soit on sait faire, soit on ne sait pas. Ce que je trouve absurde : une histoire ou un bouquin n’est pas qu’un alignement de mots, il y a plus d’une composante à un roman. Et les écrivains qui les maitrisent toutes ne sont pas un si gros pourcentage de la masse des publiés. Vous pouvez excellez sur une des composantes et être totalement à coté de la plaque sur d’autres.
Par exemple…
Le style est souvent le premier qui vient à l’esprit. Personnellement, il m’arrive d’avoir du mal avec les écrivains qui ont *leur* style. Parce que pour ma part, je trouve qu’il doit être au service de l’histoire, donc être propre à celle-ci, et non à l’écrivain. Évidemment si l’écrivain en question écrit toujours le même genre d’histoire, les deux finissent par se confondre… Mais à partir du moment où vous changez de voix, de registre, de point de vue, de personnage… le style devrait se modifier, naturellement, en conséquence non ? Je me souviens avoir trouvé le style épuré et la syntaxe brisée de « La Route » absolument parfaits car décrivant un monde post apocalyptique au delà du langage, où il n’y avait rien à dire et rien à (d)écrire. Découvrir ensuite que ce style était déjà celui de No Country For Old Men m’a rétroactivement déçue quant à la Route… (à moins que l’on ne considère No Country comme un prélude à l’Apocalypse de la Route, et ma foi, pourquoi pas…)
Dans les autres composantes, sans ordonnancement quelconque, je compte la narration, la structure, le scénario, les personnages, les dialogues… Il y aurait là de quoi écrire un certain nombre de pages mais histoire de ne pas alourdir cette note je préfère juste reprendre de petits exemples…
On peut par exemple avoir un talent phénoménal à créer un univers riche, précis, ordonné, cohérent… bourré de détails (langues, systèmes, faune, flore…) et être, à mon sens, incapable de l’intégrer organiquement à la narration. Est-il besoin de préciser que je pense à Tolkien et que je trouve personnellement le Seigneur des Anneaux illisibles ? Un univers alternatif doit se découvrir naturellement, via les yeux d’un personnage à qui il est étranger, ou par le biais de situations narratives justifiant que l’on voit fonctionner le système politique ou que l’on nous parle des plantes locales… Pour ma part 10 pages venues de nulle part sur l’herbe à pipe ou les descriptions injustifiées de parterres de fleurs en pleine scène de poursuite, ça me dépasse un peu. Je n’ai pas l’impression de lire un roman mais un bouquin pratique, le Guide du Routard en Terre du Milieu.
Vous pouvez avoir le sens du verbe et absolument rien à dire (Beigbeder; Pille) retranscrire une ambiance en atteignant le degré (moins que) zéro de la structure et de la scénarisation (Brett Eston Ellis) être un fabuleux scénariste de « one shot » et avoir plus de mal à planifier la cohésion d’une saison entière (Steven Moffatt)… et puisqu’on glisse sur la télé et l’écriture pour l’écran, notons que là, l’étiquette « writer » se décline en plusieurs fonctions : scénariste, dialoguiste, show runner, script doctor…
Au fond c’est là que j’aimerai en arriver : pourquoi écrivain serait un seul métier, un seul savoir faire ? Lorsqu’on regarde un tableau ou un dessin on sait bien derrière la toile finie qu’il y a eu plusieurs couches, un crayonné, un encrage, gras, maigre, colorisation, retouches… Ca n’est pas parce que le roman fini ne présente qu’un alignement de mots qu’il n’a pas subit le même processus, qu’il n’a pas eu d’abord un squelette, une structure sur laquelle sont venues se greffer des sous-intrigues, de nouveaux personnages, des dialogues…
Dans la pratique telle qu’elle existe, l’écrivain n’est pas toujours doué en tout mais fait a priori tout tout seul. Et personnellement, j’aime à maîtriser toutes les composantes. Prendre une idée de base, créer les personnages, structurer le roman, et l’écrire, dialogues, descriptions, introspections… Il y a sans nulle doute des aspects que je maîtrise mieux que d’autres mais tous me procurent différents plaisirs alors que j’écris une histoire. Sauf que ça n’est pas le cas de tous les auteurs (et en tous cas de ceux de ma connaissance), et il serait peut-être intéressant d’imaginer des romans écrits comme des séries télés, collaboratifs, où l’un structurerait les idées de l’autre et où un troisième donnerait une chair stylistique au tout.
Ah, pour info… si les écrivains qui maitrisent tout sont rares, je ne suis pas certaine que ceux qui n’ont *rien* pour eux soit très nombreux. Mais on les trouve malgré tout en rayon, de A(ngot) à Z(eller). Triste Monde Tragique.