C’est peut-être parce que certains ne m’appelleront jamais par mon prénom. Peut-être de voir les autres vétérans des webséries être passés à autre chose tout en conservant leurs pseudonymes. Et sans doute que le déclic ultime fut ce moment, il y a quelques semaines, où ma meilleure amie s’est vue appelée par son pseudo et en a presque fait un bon de deux mètres. « C’est juste que je ne me fais plus appeler comme ça depuis des lustres ». Quelque part ça a presque eu une résonance triste en moi. Parce qu’en bonne schizophrène, je crois que j’aime l’idée de ne pas avoir le même nom pour tout le monde.
En octobre 2009, j’ouvrais un nouveau blog sous mon état civil, et pour la première fois en donnait l’url à des gens qui ne m’avaient pas connu via le net. Par envie d’écrire en étant totalement moi. Un an plus tard il m’apparaît que la méthode et l’intention sont totalement incompatibles, tout au moins en ce qui concerne ma complexe (plutôt compliquée en fait) personne. Un constat qui ne dépendait pas totalement de moi. Le premier problème aura été ce non contrôle d’une information qui m’était nominativement associée. Voir son blog personnel lié par un tiers sur une plateforme professionnelle où de possibles recruteurs viennent jeter un œil (torve) sur votre pedigree, ça n’aide pas vraiment à écrire sans aucun filtre. Si je ne suis pas sur facebook et protège mon identité digitale c’est certainement pas pour passer des nuits blanches à songer, angoissée, comment les autres gens peuvent saboter le tout. Et c’est finalement ça qui aura fini par me faire repasser sous ma précédente configuration : ces filtres mentaux que je m’imposais, ces mises à jour retardées parce qu’il fallait retoucher tel article… Marre. Et puisque réenfiler mon pseudo veut dire virer ces filtres, avouons au passage que certaines personnes qui seront devenus des lecteurs ne se seront pas avérées de celles que j’aspire à garder au long terme dans ma vie. Alors voilà, faux retour aux sources puisque derrière le pseudonyme, en tant que personne, je n’ai pas le sentiment d’avoir reculé et compte bien faire de ces Connexions Aléatoires quelque chose de nouveau. Alors que ma précédente page semblait me couter un effort et finissait à l’abandon, je me sens pleine d’énergie de redevenir Jade. Comme si on avait ôté de mon cou un bon gros collier en kryptonite. Je peux de nouveau voler !
L’an dernier j’ouvrais le dit blog avec une note disant entre autre ma volonté de « sortir du cocon qu’a été ce l’utilisation de ce pseudonyme, enlever ce masque qui n’en était pas vraiment un ». J’avais au moins vu juste pour la dernière partie. « Jade » n’est pas vraiment, ou pas seulement un masque. En même temps c’est plusieurs types de masque : celui qui cache le visage du héros et du vilain aussi bien que celui du joueur de hockey, dont la fonction première n’est pas de protéger l’identité mais bien directement le visage. Le monde extérieur abonde en crosses et en palets propulsé à grande vitesse vers votre sourire naïf, et je n’ai pas plus envie de faire la tête que celle d’y laisser des dents. Derrière la crise existentialiste, ma motivation première reste pratique, la possibilité de parler si l’envie m’en prend de politique, ou de mentionner sans me planquer que si je me suis infligée Prince of Persia, c’est pour Gemma et sûrement pas pour Jake.
Je le rapporterai peut-être en détails plus tard, mais j’ai eu la rentrée dernière un entretien d’embauche assez particulier, où l’on ne m’a pas demandé ce que j’avais fait mais qui j’étais. « Que fait votre père ? De quelle région vous venez ? Vos origines ethniques ? Quel métier fait votre petit ami ? ». Outre que rien de tout ça n’était pertinent dans le processus « déterminons si vous êtes capable d’occuper ce poste »… il me semblait qu’en plus, rien de tout ça n’était pertinent non plus dans le processus « déterminons qui vous êtes ». D’un autre coté c’est pas comme si j’étais en l’état capable de répondre à la question. Toujours est-il qu’en reprenant mon pseudo, en posant le masque sur mon visage, j’ai en fait l’impression de sortir toute une tenue du placard, de la réenfiler, de constater qu’elle me va toujours parfaitement. Pas parce que je n’ai pas bougé mais parce que, souple, élastique, elle s’est modifiée avec moi. Mon identité pas tellement secrète que choisie, et donc par définition plus libérée que celle apposée sur ma carte d’identité. Moins en proie aux déterminismes biologiques (internet, premier pas du transhumanisme) comme sociaux, plus à même d’être la personne que je voudrais devenir.
Reste un sacré boulot à faire pour en arriver là. Mais un super héros / vilain sans mission ultime, sans chemin à parcourir, c’est une non-histoire, le degré 0 de la narration. Et je suis bien contente de réaliser qu’après, tout pile cette année, 10 ans de présence sur la toile, il me reste plein de choses à vous raconter.
Welcome back Jade
Quand tu as parlé de kryptonite, je me suis surpris à fredonner l’immortel thème musical de Superman. Bises
Et continue à cross poster
« Mon identité pas tellement secrète que choisie, et donc par définition plus libérée que celle apposée sur ma carte d’identité. Moins en proie aux déterminismes biologiques (internet, premier pas du transhumanisme) comme sociaux, plus à même d’être la personne que je voudrais devenir. »
Y’a pas, te lire m’avait vraiment manqué